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FRONT PATRIOTIQUE PANAFRICAIN
5 janvier 2012

Notes de lecture- Sortir de la grande nuit essai

Notes de lecture-

Sortir de la grande nuit essai sur l’Afrique décolonisée par Achille Mbembe la découverte 2010 243 pages-

‘Afropolitaine’, ce nouveau continent en gestation
   La décolonisation africaine n’aura-t-elle été qu’un accident bruyant, un craquement à la surface, le signe d’un futur appelé à se fourvoyer ? Dans cet essai critique, Achille Mbembe montre que, au-delà des crises et des destructions qui ont souvent frappé le continent depuis les indépendances, de nouvelles sociétés sont en train de naître, réalisant leur synthèse sur le mode du réassemblage, de la redistribution des différences entre soi et les autres et de la circulation des hommes et des cultures.

Cet univers créole, dont la trame complexe et mobile glisse sans cesse d’une forme à une autre, constitue le soubassement d’une modernité que l’auteur qualifie d’’afropolitaine’.

Il convient certes de décrypter ces mutations africaines, mais aussi de les confronter aux évolutions des sociétés postcoloniales européennes – en particulier celle de la France, qui décolonisa sans s’autodécoloniser -, pour en finir avec la race, la frontière et la violence continuant d’imprégner les imaginaires de part et d’autre de la Méditerranée. C’est la condition pour que le passé en commun devienne enfin un passé partagé.

Ecrit dans une langue tantôt sobre, tantôt incandescente et poétique, cet essai d’Achille Mbembe, professeur d’histoire et de science politique à l’Université du Witwatersrand (Johannesburg, Afrique de Sud), constitue un texte essentiel de la pensée critique en langue française.

L’objet central de cet ouvrage est la vague des décolonisations africaines. Il ne s’agira pas d’en retracer l’histoire ni d’en faire la sociologie – encore moins la typologie. Il s’agira encore moins de dresser ici le bilan des indépendances. A la volonté de communauté s’ajoutent la volonté de savoir et le désir de singularité et d’originalité. Le discours anticolonial avait, pour l’essentiel, épousé le postulat de la modernisation et les idéaux de progrès, y compris là où il en esquissait une critique – que celle-ci fût explicite (cas de Gandhi) ou non. Cette critique était animée par la quête d’un futur qui ne serait pas écrit à l’avance ; qui mêlerait traditions reçues ou héritées, interprétation, expérimentation et création de neuf, l’essentiel étant de partir de ce monde-ci en direction d’autres mondes possibles.

La sénilité croissante des pouvoirs nègres

L’essai s’ouvre sur un registre délibérément narratif et autobiographique (chapitre 1). L’on y raconte comment le moment postcolonial proprement dit commença, pour beaucoup, par une expérience de décentrement. L’on propose ensuite un parcours double. Les chapitres 3 et 4 traitent de ce qu’il faut bien appeler l’’occupant sans place’, en l’occurrence la France contemporaine. En tant que forme et figure, acte et relation, la colonisation fut, à bien des égards, une coproduction des colons et des colonisés. Ensemble, mais à des positions différentes, ils forgèrent un passé. Mais avoir un passé en commun ne signifie pas nécessairement l’avoir en partage. L’on examine ici le paradoxe de la ‘postcolonialité’ chez une ancienne puissance coloniale qui décolonisa sans s’autodécoloniser (chapitre 3). Les disjonctions et ramifications de ce genre font l’objet d’une attention dans le présent, notamment par le biais d’une impuissance apparente à écrire une histoire commune à partir d’un passé commun (chapitre 4).

Dans les chapitres 2 et 5, l’on s’attaque à ce que l’on considère comme le paradoxe central de la décolonisation : dédoublement stérile et réitération sèche d’une part, et de l’autre prolifération indéfinie (termes que l’on emprunte à Gilles Deleuze). Car, à s’en tenir à une certaine expérience africaine, l’un des processus enclenchés au lendemain de la décolonisation aura été la destruction tantôt patiente et en sous-main, tantôt chaotique, de la forme Etat et des institutions héritées de la colonisation. L’histoire de cette démolition n’a pas encore été saisie comme telle dans sa singularité. A côté du monde des ruines et de ce que l’on a appelé la ‘case sans clé’ (chapitre 5) s’esquisse une Afrique en train d’effectuer sa synthèse sur le mode de la disjonction et de la redistribution des différences. L’avenir de cette Afrique-en-circulation se fera sur la base de la force de ses paradoxes et de sa matière indocile (chapitre 6)

Le monde-africain-qui-vient est un corps mouvant, jamais à sa place dans l’énorme machine du monde ; on lui a trouvé un nom – afropolitanisme-, l’Afrique du Sud en étant le laboratoire privilégié (chapitre 6).

Sortir de la grande nuit d’avant la vie requérait une démarche consciente de ‘provincialisation de l’Europe’. Il fallait tourner le dos à cette Europe, celle qui ‘n’en finit pas de parler de l’homme tout en le massacrant partout où elle le rencontre, à tous les coins de ses propres rues, à tous les coins du monde’.

Cinq tendances lourdes circonscrivent l’avenir, parant l’horizon immédiat d’une clôture orageuse. La première est l’absence d’une pensée démocratique qui servirait de base à une véritable alternative au modèle prédateur en vigueur à peu près partout. La deuxième est le recul de toute perspective de révolution sociale radicale sur le continent. La troisième est la sénilité croissante des pouvoirs nègres.

Trois facteurs constituent des freins à une démocratisation du continent. D’abord, une certaine économie politique. Ensuite, un certain imaginaire du pouvoir, de la culture et de la vie. Et, enfin des structures sociales dont l’un des traits saillants est de conserver leur forme apparente et leur déguisement ancien tout en se transformant sans cesse en profondeur. D’une part, la brutalité des contraintes économiques dont les pays africains ont fait l’expérience au cours du dernier quart du 20e siècle – et qui se poursuit sous la férule du néolibéralisme – a contribué à la fabrication d’une multitude de ‘gens sans part’, dont l’apparition sur la scène publique s’effectue de plus en plus sur le mode du tumulte ou, pis, de tueries lors des bouffées xénophobes ou à l’occasion des luttes ethniques, surtout au lendemain d’élections truquées, dans le contexte des protestations contre la vie chère, ou encore dans le cadre des guerres pour l’accaparement des ressources rares. Pour la plupart déclassés des bidonvilles, déscolarisés, privés de toute certitude de prendre épouse ou de fonder une famille, ce sont des gens qui n’ont objectivement rien à perdre, qui de surcroît sont peu ou prou structurellement à l’abandon – condition de laquelle ils ne peuvent souvent échapper que par la migration, la criminalité et toutes sortes d’illégalismes.

C’est une classe de ‘superflus’ dont l’Etat (là ou il existe), voire le marché lui-même ne savent que faire ; des gens que l’on ne peut guère vendre en esclavage comme au début du capitalisme moderne, ni réduire aux travaux forcés comme à l’époque coloniale et sous l’apartheid, ou encore entreposer dans des institutions pénitentiaires comme aux Etats-Unis.

Face à l’absence de forces sociales internes capables d’imposer, au besoin, par la force, une transformation radicale des rapports sociaux et économiques, il est nécessaire d’imaginer d’autres voies pour une possible renaissance.

La décolonisation sans la démocratie est une bien piètre forme de reprise de possession de soi, fictive. Mais, si les Africains veulent la démocratie, c’est à eux d’en imaginer les formes et en payer le prix. Personne ne le paiera à leur place.

Le long hiver impérial français

L’expérience de l’Afrique du Sud montre que l’injonction de ‘se lever et marcher’ - la décolonisation – s’adresse à tous, ennemis et opprimés d’hier. La pseudo libération consiste à croire qu’il suffit de tuer le colon et de prendre sa place pour que le rapport de réciprocité soit restauré. Cela dit, tout, le souci de réconciliation à lui tout seul ne peut se substituer à l’exigence radicale de justice. La décolonisation a fini par devenir un concept de juristes et d’historiens. Aux mains de ces derniers, cette notion s’est appauvrie. Déclinée sous maintes désignations au long des 19e et 20e siècles africains, la décolonisation fut pourtant une catégorie politique, polémique et culturelle. Sous cette forme, elle s’apparentait à une ‘lutte de libération’ ou comme le suggérait Amilcar Cabral, à une ‘révolution’. Il y eut plusieurs âges de la décolonisation. Les historiens distinguent généralement deux âges du mercantilisme. Le premier correspond à la période du mercantilisme. Le second âge du colonialisme est une conséquence de la révolution industrielle. Achille Mbembe ne manque pas d’étudier ce qu’il appelle le long hiver impérial français.

Le discours africain aura été dominé, pendant près d’un siècle, par trois paradigmes politico-intellectuels qui, au demeurant, ne s’excluaient pas mutuellement. Il y a eu, d’une part, diverses variantes du nationalisme anticolonial. Celui-ci a exercé une influence durable sur les sphères de la culture, du politique et de l’économie, voire du religieux. Il y a eu, d’autre part, diverses relectures du marxisme, desquelles ont résulté, ici et là, maintes figures du ‘socialisme africain’. Vint, enfin, une mouvance panafricaniste, qui accordait une place privilégiée à deux types de solidarité – une solidarité raciale et transnationale, et une solidarité internationale et de nature anti-impérialiste.

Sur le versant africain de l’Atlantique, l’on peut distinguer deux moments marquants de l’afropolitanisme. Le premier moment est proprement postcolonial. Cette phase est inaugurée par Ahmadou Kourouma et son Soleil des indépendances au début des années 1970, mais surtout par Yambo Ouologuem (Le Devoir de violence). L’écriture de soi, qui chez Senghor et les poètes de la Négritude consistait en une quête du nom perdu, et chez Cheikh Anta Diop se confondait avec l’articulation d’une dette à l’égard du futur en vertu d’un passé glorieux, devient, paradoxalement, une expérience de dévoration du temps – chronophage donc. Cette nouvelle sensibilité se démarque de la Négritude au moins à trois niveaux.

Premièrement, elle relativise le fétichisme des origines en montrant que toute origine est bâtarde ; qu’elle repose sur un tas d’immondices. Deuxièmement, cette nouvelle sensibilité réinterroge le statut de ce que l’on pourrait appeler la ‘réalité’. Le discours de la Négritude se voulait un discours de la communauté comme différence. Il s’agissait d’un discours de lamentations.

Les thèses d’Achille Mbembé n’échappent pas à la critique. Dans son ouvrage L’Occident décroché. Enquête sur les postcolonialistes (Stock 2008). Jean-Amselle Loup considère que le passage mouvementé d’Achille Mbembe au Codesria comme secrétaire exécutif aura représenté un épisode flamboyant mais traumatisant pour cette institution. En somme, la nouvelle proposition d’Achille Mbembe représentait une assomption de la sauvagerie africaine, une sorte de vision conradienne d’un continent plongé au cœur des ténèbres, vision que la bienpensance du ‘mainstream’ universitaire africain ne pouvait accepter.

Dans son livre Le Post-modernisme et le nouvel esprit du capitalisme sur une philosophie globale d’Empire (Codesria), le camerounais Nkolo Foé, professeur de philosophie procède à la réfutation des thèses de Mbembe qui est un postmoderniste et un épigone d’Appadurai (Après la colonisation. Les conséquences culturelles de la Globalisation. Paris Payot, 2001). Pour ce chercheur indien, la postcolonie apparaît comme l’idéologie des bandes apatrides, captives du marché mondial.

Le nationalisme occupe une place de choix dans les utopies qui tiraient leur légitimité des luttes anticoloniales. Non sans malice, roman et théorie postcolonialiste s’acharnent à ridiculiser ces luttes. Nationalisme, nativisme et ‘afro-radicalisme’ apparaissent chez Mbembe comme des ‘philosophies du travestissement’ ou du faux. Enclin à l’amalgame, il confond nationalisme et refus d’ouverture au monde ; lutte pour la protection des acquis économiques et culturels de la nation et nativisme – assimilé au racisme.

Réfléchissant en termes de réseaux, Mbembe préconise la délocalisation de la production du savoir et la dés-autochtonisation des processus de légitimation de ce savoir. S’attaquant à la question de l’identité, il introduit concept postmoderniste d’incertitude, au centre des processus contemporains de construction identitaire. De l’imagination, de l’hybridité, du métissage, du croisement des cultures, de l’utopie d’une société post-coloniale, post-ethnique, il fait des concepts opératoires.

Ce livre documenté mérite d’être sérieusement discuté par les chercheurs négro-africains. Mais nous regrettons que Mbembe n’ait pas répondu de manière précise aux critiques qui lui ont été faites. Il s’est contenté de les réduire à de ‘byzantines querelles’.

Amady Aly DIENG

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